Parution de l’ouvrage « Le Sphinx Rouge, un duel entre le génie romantique et Richelieu » de Caroline Julliot
Caroline Julliot est heureuse de vous annoncer la parution, le 27 Mars, de son livre « Le Sphinx Rouge, un duel entre le génie romantique et Richelieu », éditions Garnier, collection « Le Siècle de l’Histoire », 244 pages.
Dans la lignée de son premier ouvrage (« Le Grand Inquisiteur, naissance d’une figure mythique au XIXe siècle », éd. Champion, coll. « Histoire culturelle de l’Europe », 2010), cette étude vise à sonder les enjeux politico-religieux d’un personnage historique, devenu légende littéraire, qui a fasciné les écrivains dans la période post-révolutionnaire, notamment avec Vigny, Hugo, Dumas et Michelet ; personnage qui leur permet de penser, de façon complexe, l’évolution, dans l’Histoire française, des rapports entre le religieux et le politique – et la place que l’écrivain lui-même, en ce « temps des prophètes », souhaite occuper dans la société.
Retrouvez ci-dessous le plan de l’ouvrage et le début de l’introduction ainsi qu’un bon de commande en PDF.
Plan de l’ouvrage
Introduction
- L’Adieu au diable
- La diabolisation romantique ?
- Le Pandemonium ou les démons de Richelieu
- Le Sphinx Rouge
- Un politique
- L’Affaire de Loudun, ou Richelieu figure de la sécularisation
- « Et c’est la mort, à moins que ce ne soit… l’Etat »
- Richelieu figure du pouvoir exécutif
- Entre chat et loup
- La robe de Richelieu ou la violence cachée de l’Etat
- Raison ou déraison d’Etat ?
- Une histoire de la Terreur : Richelieu précurseur de la Révolution Française ?
- Un Etat sans nation
III. Le Spectre vaincu par l’Esprit
- Le Temps des Prophètes
- Le Duel Richelieu-Corneille
- L’Ultime duel des génies, ou l’ordalie romantique
- Richelieu est mort, à mort Richelieu !
- Après les romantiques, ou la re-monumentalisation patriotique
Conclusion : L’écriture romantique, une écriture de pouvoir ?
Lire le début de l’introduction
L’une des représentations les plus intrigantes de Richelieu est le triple portrait que son peintre officiel, Philippe de Champaigne, réalisa vers 1640 – vraisemblablement pour servir d’étude préalable au buste de marbre que le Cardinal avait commandé au Bernin – et qui se trouve aujourd’hui à la National Gallery, de Londres. Il est célèbre pour son réalisme, et la fine analyse, aussi bien physique que psychologique, de son modèle. Et pourtant, il présente une particularité qui ne peut manquer de troubler le spectateur attentif : les deux profils (gauche et droit) et le portrait de face ne se ressemblent pas exactement. Il est très difficile de réunir les trois angles sous lesquels le Cardinal est montré en une synthèse cohérente.
Réduire le portrait multiple à une seule figure relève en effet de la gageure ; si l’on y voit bien le même homme, c’est au prix d’une occultation des détails. En fait, aucun trait ne correspond exactement à l’autre : la forme du nez, des yeux, l’expression de la bouche, et même la carnation, tout est légèrement différent…. Bref, derrière l’effet de série et de reproduction du même sous toutes les coutures, derrière la logique, toute classique et rationnelle, d’une figuration qui permet à l’intelligence de saisir, dans le même regard, toutes les données de sa forme, se profile le vertige baroque d’un miroitement sans fin et sans cesse déformant, et la multiplicité des images d’un être qui, à l’instar de la femme rêvée de Verlaine, n’est, chaque fois, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre…
Et peut-être est-ce aussi là le génie de Champaigne : nous donner ainsi à contempler le mystère de l’identité d’un homme qui échappe perpétuellement à la définition – et ce, encore davantage au moment où l’on pense l’avoir cerné sous tous les angles – et qu’on échoue souvent à décrire autrement que comme la « juxtaposition de plusieurs termes identitaires contradictoires (…) sorte de rubixcube composé de différentes facettes qui s’emboîteraient (plus ou moins bien) dans la même personne ».
L’abondante historiographie consacrée à Richelieu reflète cette diffraction et cette variété constante de son objet – que Françoise Hildesheimer résumait avec humour, en commençant sa biographie par une référence au roman récent d’Hubert Monteilhet, De Plume et d’épée (1999), dans lequel Richelieu fait irruption dans une pièce, à la recherche de l’un de ses animaux de compagnie : « Bref, chacun cherche son chat et Richelieu n’échappe pas à la règle. Mais chacun peut aussi chercher son Richelieu ». Néanmoins, si elles proposent chacune, documents à l’appui, « leur » Richelieu, éclairant toutes d’un jour nouveau et informé ce personnage, la très grande majorité des études historiques semble tomber d’accord sur l’uniformité, réductrice et caricaturale dans la noirceur, de la représentation que les romantiques sont parvenus à imposer.
Depuis le XIXe siècle, tout un chacun croit connaître Richelieu – ne sachant pas très bien, d’ailleurs, d’où il tire cette impression d’évidence, qui ne saurait se limiter à quelques vagues souvenirs scolaires, ni d’où émane cette image d’Épinal, tant ont été nombreuses les œuvres de fiction qui l’ont diffusée: les romans populaires, et, ensuite, les diverses adaptations cinématographiques, dessins animés et autres comédies musicales, inspirés majoritairement des Trois Mousquetaires, ont fixé dans les représentations l’image univoque du traître de comédie, aussi distingué que cruel, à l’ambition sans bornes, aux ruses machiavéliques et à la fine moustache. Mais Alexandre Dumas, lorsqu’il met en scène le Cardinal, antagoniste de ses héros de cape et d’épée, dans son roman de 1844, avait déjà puisé dans un imaginaire déjà constitué – par des récits historiques et d’autres fictions, notamment Cinq-Mars, de Vigny (1826), connu comme le tout premier roman historique français, Marion de Lorme, de Victor Hugo (1831), eux-mêmes sources d’inspiration de nombreux drames et comédies mineurs au cours des années 1830.
Que la figure de Richelieu se soit ainsi, dans une certaine mesure, « débarrassé[e] des conditions historiques de sa naissance », et qu’on ne sache plus clairement, dans nos représentations, identifier la frontière entre les différentes fictions, et, plus généralement, entre fiction et réalité, constitue, si l’on suit les analyses de Jean-Jacques Lecercle à propos de Frankenstein, l’un des symptômes permettant de percevoir la dimension mythique du personnage.
Les « élucubrations littéraires » (C. D’Albis) constituent donc, pour l’historien, un cliché encombrant à détrôner. Le Comte de Molé, lors de la réception de Vigny à l’Académie Française, le rappelait d’ailleurs déjà sans ambages. Tançant Vigny d’avoir « réduit à de telles proportions l’un des plus grands hommes d’État des temps modernes », il renvoie les littérateurs à d’autres objets : « De pareils hommes, Monsieur, appartiennent à la vérité plus qu’à l’art ».C’était déjà reconnaître, a contrario, que, à cette période, la littérature s’était emparée avec un succès indéniable de la figure du Cardinal, et l’avait arrachée à la mémoire historique et à l’exactitude du fait, afin de la faire servir sa propre cause. La marge de manœuvre de la fiction historique demeure certes limitée, notamment pour les grands personnages. Faute de perdre toute crédibilité auprès de son lecteur, elle ne peut pas changer radicalement le cours des événements, et doit donc se référer constamment aux travaux historiques ; mais elle peut en infléchir considérablement le sens, en érigeant certains faits anodins au rang de symbole, ou en dotant les personnages réels qu’elle réinvente d’une psychologie identifiable et d’intentions transparentes – même si, on le verra, le traitement de Richelieu est, sur ce point, extrêmement complexe.